Interview de Manu pour les Eternels

Vous nous connaissez : quand un groupe débarque de nulle part et sort une bombe totale qui nous scotche au siège, le fait d’aller taper la discute avec eux pour en savoir plus est comme une compulsion pour nous. On parle ici des Mindlag Project et de leur album du même nom, hénaurme baffe de métal à tendance extrême / prog. Et croyez-moi, nous n’avons pas été déçus du voyage…
Cosmic Camel Clash : Pour commencer, un passage obligé : première interview pour le site égale historique pénible où tu racontes d’où vous venez, qui vous êtes, comment vous vous êtes rencontrés, etc.

Manu : Pas de soucis! Tout d’abord nous nous sommes formés en 1999, donc ça remonte à dix ans maintenant. C’était à l’instigation de mon frère Julien qui officie à la batterie ainsi que de moi. Nous avons eu pas mal de changement de line up jusqu’en 2001 puis ça s’est stabilisé. A savoir qu’il y a eu Gilles à la basse, Mathieu au chant, Vincent à la guitare, et là depuis l’enregistrement de cet album nous avons une nouvelle recrue au violoncelle en la personne de Romain.

Cosmic Camel Clash : Ça tombe bien que tu l’évoques, car la première question que l’on se pose quand on voit le line-up – surtout pour un groupe à tendance extrême – c’est de savoir d’où vient l’idée de recruter un violoncelliste dans un groupe de métal…

Manu : En fait à la base, ce que je voulais faire au niveau du concept c’était d’incorporer des leitmotivs. C’est un procédé qui a été inventé (entre guillemets) par Wagner. Nous voulions utiliser des interventions musicales, des petites mélodies qui rappelaient des personnes, ou des états d’âmes, ou le passé… pour la linéarité de l’histoire, de notre récit car c’est un concept album. De fil en aiguille nous avons fait des arrangements classiques par-dessus car c’est quelque chose qui nous importe beaucoup. Nous sommes quand même ancrés dans un certain classicisme parce que ça colle au niveau de la couleur que nous utilisons : tout ce qui est Baudelaire, les poètes maudits, tout ça. Cette couleur on voulait la garder et de fil en aiguille nous avons fait un concert(la release-party de notre album) avec Romain, puis nous avons répété ensemble et vu que ça se passait très bien il est devenu un membre du groupe. Ça s’est fait naturellement, nous n’avons pas eu vraiment l’idée de nous dire « tiens, on va prendre un violoncelliste », ça a coulé de source en fait.

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Cosmic Camel Clash : Mais le fait que Gilles soit altiste, j’imagine que ça a quand même un petit peu son rôle non?

Manu : Oui oui puisque dans l’album d’avant nous avions déjà fait des arrangements avec l’alto. Ça a toujours collé à ce que nous voulions faire au niveau de la couleur, mais nous ne pensions pas l’utiliser comme un instrument à part entière. Moi je fais un peu de piano et j’ai toujours fait des arrangements pour les interludes. C’est vrai que c’était déjà insufflé dans les albums d’avant et que nous avions déjà l’idée en tête de se rapprocher de certains arrangements classiques. Mais je pense que ce que nous avions le plus à l’esprit c’était de faire des arrangements qui suivaient la base du leitmotiv, de pouvoir rajouter une couche par dessus le métal un peu plus fine, peut être un peu moins directe, qui permettrait a l’auditeur de faire le lien entre toutes les chansons et entre la thématique de chaque chanson. C’est comme ça que nous l’avons vu depuis le début… et je pense que ce n’est pas terminé puisque nous avons déjà des idées pour faire des arrangements avec des cuivres et énormément de choses. Nous sommes pas mal ouverts là-dessus.

Cosmic Camel Clash : C’est amusant : en t’entendant j’imagine le lecteur qui ne connaît pas la musique de Mindlag… et qui en lisant l’interview va s’imaginer que c’est du néoclassique. Il faut quand même préciser avant tout que Mindlag c’est du violent !

Manu : Ah oui, non mais c’est sûr. Mais la proportion de classicisme qu’il y a dans notre musique n’est qu’au niveau des arrangements. C’est un truc qui est crucial mais c’est vrai que le gros de notre musique ce sont des influences lourdes, comme tu dis. Nous partons d’un concept qui évoque un serial killer qui a beaucoup de rage (contenue ou pas) et de haine en lui mais aussi d’autres choses: la plénitude, la lourdeur… beaucoup de choses sont exprimées, nous fonctionnons beaucoup avec les sentiments. Vu que notre thème c’est la rage et la colère nous avons bien sûr l’influence thrash/death et un petit peu hardcore qui nous suit, et qui nous suivra toujours. Le gros de notre musique c’est ça.

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Cosmic Camel Clash : Parlons de ce fameux concept. J’ai eu le CD nu, sans livret ni paroles, mais j’ai immédiatement compris qu’il s’agissait justement d’une histoire racontée sur la totalité de l’album. Est ce que c’est quelque chose que vous recherchiez, à savoir que le concept n’aie pas besoin de support autre que la musique pour qu’on le détecte ?

Manu : Exactement et je suis content que ça ait marché sur toi, parce que c’est vraiment ce que nous avons recherché. Le fait que l’on capte que c’est un concept album sans avoir besoin de tout ce qui est l’artwork ou des paroles était très calculé. Nous avons beaucoup travaillé ça pendant le mixage avec Christian Carvin. Nous nous sommes toujours mis à la place de l’auditeur en se disant que nous cherchions à communiquer des sentiments, et bien sur notre histoire aussi… c’est très important la façon dont l’auditeur va appréhender notre message, puisque nous avons un message quand même à travers ce concept. Ce n’est pas simplement un concept esthétique, c’est ce qui nous permet d’avoir un fil conducteur, c’est une esthétique que l’on cherche depuis longtemps entre le bien et le mal et tout ce que ça peut comporter d’ambigu. Et c’est vrai que nous avons passé énormément de temps à retranscrire l’histoire. Nous avions certains exemples derrière nous comme The Wall de Pink Floyd ou la carrière de Maiden par exemple, tout ces groupes qui ont bien réussi à faire de la musique imagée… Par exemple quand on écoute « Powerslave » de Maiden et qu’on l’on voit la pochette on n’est pas du tout étonné. On se dit « Ouais ben c’est ça, c’est l’Égypte », ça fonctionne. Nous sommes partis de ce constat et nous avons voulu faire pareil, il fallait que notre histoire l’auditeur la ressente. Et puis pour la cohérence de l’album, pour qu’il s’enchaine bien… Nous avons fait quelque chose de très influencé par le cinéma aussi, c’est quelque chose qui est très important pour nous. D’ailleurs nous avons réalisé un court métrage qui est visible sur notre page myspace. Je dirais que nous avons travaillé accolés au cinéma. Souvent les riffs sont plutôt comparables à des plans, nous ne faisons pas de simples successions de riffs mais essaie de faire quelque chose qui se tienne. Nous voyons des images quand nous composons… en fait c’est ça, nous avons une façon de composer très cinématique. Je pense que c’est ça peut être qui permet d’identifier l’histoire sans avoir besoin d’artwork.

Photo Cosmic Camel Clash : J’ai volontairement écrit ma chronique en m’en tenant à ce que je pouvais comprendre des paroles. Si je me réfère au chant lexical utilisé, à un certain type d’éléments traditionnel folk qui reviennent, est-ce une histoire qui se déroule au Moyen-Âge ?

Manu : Disons que c’est assez intemporel. Nous avons volontairement voulu ne pas dater notre histoire. Mais il y a des références qui peuvent y faire penser dans le langage utilisé par notre personnage qui est un esthète. C’est un dandy qui se voit dans une époque ancienne, il est un peu passéiste, il adore le raffinement, c’est donc normal que tu aies eu cette vision. Mais ça ne se passe pas forcement à cette époque-là. De toutes façons, ça ne peut pas se passer à cette époque à cause de la chanson « Cerbera » où il se trouve au volant d’une voiture, donc ça ne se passe pas au Moyen-Âge. Mais c’est vrai que le chant lexical correspond à ça.

Cosmic Camel Clash : Sans que tu dévoiles ton histoire, est-ce que toute la musique a été composée pour coller au thème du serial killer ou au contraire en partant de couleurs musicales, de plans, ce thème s’est-il dégagé?

Manu : Ce qui est venu en premier c’est l’histoire. En fait nous avons des choses à dire, nous avons notre personnage qui existe et nous savons ce que nous voulons lui faire dire, nous voulons raconter tout ça aux gens. Notre procédé c’est justement d’avoir une histoire, de planter le décor en utilisant des couleurs musicales et de préciser notre discours avec les textes et la rythmique. Mais c’est toujours l’histoire, enfin jusqu’à présent, qui vient avant la musique.

Cosmic Camel Clash : Pour ce qui est du contenu musical pur on sent quand même chez vous des racines ancrées dans le thrash, le heavy, le death metal. Est-ce que c’est quelque chose qui est l’objet de tout le groupe ou et ce que vous avez un membre du groupe branché heavy, un autre branché thrash et qu’ensuite vous faites votre mixture ?

Manu : Nous sommes assez éclectiques, nous avons à peu près les mêmes racines. En grosse majorité nous venons de Maiden, Metallica, des bases du métal qui marchait bien quand nous étions jeunes. Nous avons commencé très tôt à écouter cette musique et ça nous a suivi. Disons que Gilles et Vincent étaient plus hardcore que mon frère Mathieu et moi, qui venons plus du heavy. Mais globalement nous venons tous du heavy. En fait nous ne réfléchissons pas trop en termes de style, nous écoutons énormément de choses, des choses très diverses. Et quand nous avons besoin de créer une ambiance, nous puisons dans certains styles sans nous demander si nous appartenons à tel ou tel style, est-ce qu’il faut faire ça puisqu’on appartient au thrash, etc… Nous ne cherchons jamais ce genre de choses-là, nous ne nous posons pas la question. Quand nous avons besoin de faire des choses assez enlevées nous faisons appel au thrash, quand il faut que ce soit appuyé, que l’on sente la colère retenue et qui explose on va piocher dans le hardcore. Les moments épiques c’est plutôt le heavy ou le progressif quand il y a une sorte de plénitude, puisqu’après avoir tué des gens, Jon est souvent dans un état euphorique. Il passe quand même de bons moments, il n’est pas dans un névrose absolue. Nous ne choisissons pas notre style mais la façon dont nous puisons dans nos influences est liée au sentiment que nous voulons exprimer.

Cosmic Camel Clash : Un des médiums principaux pour exprimer cette richesse émotionnelle, c’est le chant, extrêmement varié et protéiforme. J’ai vu que Mathieu et toi êtes crédités au chant. Est-ce que tu fais du chant lead, ou uniquement les chœurs ?

Manu : On a une dualité dans notre concept qu’on utilise aussi dans le chant : Mathieu fait toujours toutes les voix criées, le growl, tout ce qui est death ou hardcore ; moi je fais certains backings death, mais en général je fais les voix chantées. La dualité est architecturée de cette manière : on se répond, chacun fait une des facettes de la personnalité de Jon. Pour faire une métaphore, c’est un peu comme le Yin et le Yang, chacun a une partie de bien et de mal en lui. Le chant clair a surtout une connotation bénéfique, mais parfois le mal prend le pas sur le bien ; les voix criées sont souvent utilisées pour exprimer le côté sombre de Jon, son côté criminel et maléfique, mais parfois ce sont des cris de douleur qui lui confèrent au contraire de l’humanité. C’est là notre concept principal : la marge infime entre le bien et le mal, le bon et le mauvais. C’est en plus associé, pour nous, au concept de beau et de laid, puisqu’on s’inspire de Baudelaire, donc nous essayons d’utiliser ça avec parcimonie. Si on devait résumer ça en un mot, ce serait « dualité », la voix claire est son Dr Jekyll, alors que la voix hurlée est le Mr Hyde.

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Cosmic Camel Clash : Le chant clair-hurlé, comme celui qui ouvre « Rebecca », c’est lui ou toi ?

Manu : C’est moi. C’est un chant agressif, mais à partir du moment où il y a des notes, c’est moi.

Cosmic Camel Clash : Il y a quelque chose que je retrouve souvent dans les groupes de métal que j’ai eu l’occasion de chroniquer ou d’interviewer, c’est cette fascination pour la folie, les tréfonds de l’âme humaine et les parois mouvantes entre la psychose et la raison… C’est quelque chose qui t’a toujours intéressé ?

Manu : Totalement. Disons que notre musique est cathartique. Personnellement, je fais de la musique pour ne pas devenir fou, c’est un exutoire qui me permet de passer l’envie de tuer les gens (rires). Quand je suis énervé, je me suis toujours servi de la musique et des textes pour me clamer, pour évacuer toute la haine que je pourrais avoir, la déposer dans un coin pour pouvoir réfléchir, pour ne pas être emporté dans ma réflexion. Je pense que c’est également le cas des autres membres du groupe. Il y a un autre aspect dans cette exploration de la folie : je pense que tout ce qui vient du métal ou des films d’horreur, bref de notre culture, est victime d’une ségrégation. Peut-être qu’elle est moins présente aujourd’hui qu’auparavant, mais je sais que quand j’étais jeune, j’ai eu des difficultés étant un metalleux. Par ignorance, il y a beaucoup de gens qui m’ont traité de « sataniste » ou je ne sais quoi. On toujours dû se battre qu’il y avait quelque chose d’autre derrière cette musique. C’est vrai que parfois ça s’apparente à de la folie : j’ai parfois presque eu l’impression d’avoir un dédoublement de personnalité à cause de ça, je me demandais si les gens avaient raison de me reprocher certaines chose par rapport à mes goûts, ou si c’est eux qui étaient trop bornés. Dans la chanson « Noctambule problématique », qui pose la problématique de l’album, il y a un passage qui dit : « Est-ce ma folie ou celle des autres, sont-ce mes yeux fermés ou ceux du monde entier ?». Ça pose la question : nous, en tant que metalleux, en tant que personnes qui avons un affect particulier avec cet esthétisme dérangeant, est-ce que c’est nous qui sommes fous, ou est-ce que c’est les autres qui ne sont pas ouverts, qui ne sont pas dans le vrai, dans le sens où ils n’acceptent pas leur partie sombre ? Nous pensons qu’accepter sa partie sombre permet d’être plus équilibré, de ne pas céder aux accès de colère, d’être plus « droits », de ne pas faire n’importe quoi, de maîtriser ça.

Photo Cosmic Camel Clash : Pour éviter les passages à l’acte, quoi.

Manu : C’est un peu ça… bon, je ne pense pas que nous passerions à l’acte non plus, car ayant beaucoup étudié ça pour le concept de l’album, je pense que quand on est un serial killer c’est quand même une maladie incurable, on ne peut pas trop y échapper. Nous ce n’est pas trop pour éviter de passer à l’acte, c’est pour essayer d’être des hommes meilleurs. Pour essayer d’avoir plus de jugeote dans notre rapport à la vie en déposant sur scène tous nos accès de colère. Je pense que tout le monde est sujet à ça, dans une société barbare comme la nôtre c’est dur de ne pas s’énerver parfois.

Cosmic Camel Clash : Tu prêches un convaincu… C’est amusant car j’ai eu récemment l’occasion d’échanger avec des gens qui ne comprenaient tout simplement pas qu’on puisse prendre du plaisir à écouter une musique dérangeante. En y réfléchissant j’ai l’impression que nous continuons aujourd’hui à nous trimballer un énorme héritage platonicien , cette pensée antique où ce qui doit être mis en avant c’est « le Bon, le Bien, le Beau ». Sorti de ça point de salut…

Manu : C’est exactement ça. Je suis tout à fait d’accord avec toi et en plus c’est exactement la base de notre concept. Notre société, notre système de valeur associe toujours (ou au moins en règle générale) ce qui est bon à ce qui est beau et ce qui est mal à ce qui laid. Et dès qu’on a un penchant pour quelque chose de dérangeant mais qui fait partie de l’humanité… ne serait-ce que la mort ou la souffrance, on peut y porter un intérêt purement esthétique… Bref je suis comme toi, j’adore ça et pourtant ça ne fait pas de moi quelqu’un de mauvais ou de maléfique. Mais c’est vrai qu’on a cet héritage, je pense que c’est pour ça qu’on a brûlé des sorcières à une certaine époque. C’est un héritage religieux et même plus ancien, c’est un héritage de peur. Les gens ont peur de ce côté sombre et dès qu’on approche quelque chose de tabou, qu’on peut y trouver un intérêt, un esthétisme… on est catalogué comme hérétique. Ce n’est plus le mot car ça s’est détaché de la religion, ça va plus loin désormais, mais c’est toujours ça. Et notre concept nous sert aussi à nous battre contre ça… et il y a un peu de provoc aussi car c’est quelque chose qu’on adore (rires). Mais je suis tout à fait d’accord avec toi là-dessus.

Cosmic Camel Clash : Fin d’interview classique : tu peux rajouter quelque chose ou bien on s’arrête là. C’est une tribune libre optionnelle.

Manu : Nous avons déjà dit pas mal de choses intéressantes… en tous cas merci pour ton soutien… et je pense que les grands esprits se rencontrent on va dire. Je pense que si tu as apprécié notre album c’est que nous avons des choses en commun.

Cosmic Camel Clash : Y’a de fortes chances ! De toutes façons tu as lu la chronique…

Manu : Oui et ça m’a beaucoup touché. Ça me fait plaisir que quelqu’un comprenne le fond de ce que nous disons et s’y intéresse, ce n’est pas le cas de toutes les chroniques. Même quand nous avons de bonnes chroniques les gens n’ont pas toujours ce recul là sur ce que nous faisons. Ils pensent peut-être que nous faisons de la musique juste pour faire de la musique mais nous il y a aussi autre chose, et c’est bien que quelqu’un s’en rende compte.

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